Algues vertes en Morbihan : mettons fin à la politique de l’autruche
Il y a déjà une dizaine d'années, Nono illustrait déjà la politique de l'autruche de l'Etat. [Archives Eau & Rivières de Bretagne]
Les marées vertes sur vasière en Bretagne ne sont pas une surprise. Pourtant, dans le Morbihan, rien n'a été fait pour étudier et résorber le phénomène. Il est grand temps pour l'Etat d'agir : en aidant les communes touchées, en fixant des objectifs pour la réduction d'azote et en réinventant l'agriculture de la région.
Le développement des algues vertes en Morbihan est connu depuis de nombreuses années mais rendu particulièrement visible ce printemps. En effet, le recensement cartographique mensuel des sites d’échouages d’algues vertes, basé sur les données de surfaces récoltées dans le cadre du suivi algues vertes et confié au Centre d'études et de valorisation des algues (Ceva), a révélé fin mai que le Morbihan était bien plus touché cette année que le reste de la Bretagne.
Le démarrage tardif des marées vertes sur les plages bretonnes a agit comme un révélateur de la non prise en compte du phénomène présent également sur les vasières. 46 sites à algues vertes sur vasière ont été identifiés en Bretagne sur la période 2008-2018, représentant quand même un peu plus de 1000 ha de surface, dont 54 % sur le seul département du Morbihan.
La Bretagne se retrouve avec une légère augmentation de ces surfaces couvertes
Or si le phénomène algues vertes régresse sur les plages ces dix dernières années, passant de 1450 ha à 1200 ha (en moyenne de surface couverte), il n’en est pas de même sur les vasières qui passent elle de 1100 ha couvertes à 1250 avec un pic en 2019 et probablement en 2020, ce qui donne des raisons de s’inquiéter du phénomène.
Globalement si l’on cumule les deux, la Bretagne se retrouve avec une légère augmentation de ces surfaces couvertes (env. + 2%) alors même que beaucoup d’argent public est engagé depuis 10 ans pour lutter contre ces marées vertes.
Comment expliquer que le Morbihan soit passé sous les radars
Dès la fin des années 2000, l’état des lieux réalisé par l’Agence de l’eau dissocie les marées vertes sur estran sableux des marées vertes sur vasière.
Il s’en suit une gestion différenciée du problème :
- les plages conduisant à une perte d’usage récréatif direct et un risque sanitaire évident,
- les vasières pouvaient « n’être » qu’un problème écologique de deuxième zone.
Ainsi, lors de la mise en œuvre du Plan de lutte contre la prolifération des algues vertes (Plav), seules les baies touchées par des échouages sur estran sableux ont été retenues. Dans les huit baies à algues vertes identifiées dans le Plav, dont cinq baies en Finistère et trois en Côtes-d’Armor, il est prévu des objectifs chiffrés de réduction des flux azotés. Par-exemple, en baie de Saint-Brieuc, le Plan prévoit une réduction de 30 % des flux azotés en 2021 et de 60 % en 2027.
Aucun objectif chiffré pour la réduction des flux d'azote alors que c'est la loi
Le Morbihan est un territoire qui a donc échappé à cette ambition. Pour autant, le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) Loire Bretagne, approuvé en 2015, indique dans la disposition 10 A-2 concernant les marées vertes sur vasières, qu’il donne un délai pour l’étude scientifique du phénomène au 31 décembre 2017. En 2020, l’étude n’est toujours pas achevée, en non-conformité avec le Sdage.
Autre non-conformité : les bassins versants alimentant un site vaseux de marée verte doivent établir un programme de réduction des flux d’azote, sans attendre le résultat de cette étude. Force est de constater que beaucoup de bassins versants alimentant ces baies vaseuses n’ont pas encore établi en 2020 de programme de réduction des flux d’azote. Ainsi, les bassins versants du Golfe du Morbihan et de la Ria d’Etel sont les derniers à s’être doté d’un Schéma d'aménagement et de gestion des eaux en Bretagne. Ce Sage, élaboré à partir de 2016 pour une de durée de 6 ans, a été signé en 2020. Il ne précise aucun objectif chiffré en matière de réduction des flux d’azote. Trouvez l’erreur.
Ce territoire paie le tribut de la politique de l’autruche. En effet, en se privant de prendre la mesure du fléau des algues vertes, les pouvoirs publics ont élaboré des programmes de mesures inadaptés. Le conseil départemental 56 ne participe d’ailleurs pas au comité de pilotage régional du plan de lutte contre les algues vertes.
Le préfet du Morbihan semble se réveiller
Suite aux alertes lancées par Eau et Rivières de Bretagne dans la presse, début juin, sur le risque sanitaire que le dégagement d’hydrogène sulfuré (H2S) fait peser sur les populations et l’absence de prise en compte de la nécessaire protection de la biodiversité de ces milieux, le préfet a adressé un courrier à tous les maires concernés, les enjoignant de procéder aux ramassages et à la sécurisation des sites par des panneaux d’information. Et encore, le maire de Gâvres, pourtant concerné par le phénomène, n'avait toujours pas reçu ce fameux courrier au 27 juin.
Or, il apparaît que les élus locaux sont assez démunis puisque les dispositifs de prise en charge par l’État des frais de collecte n’existent pas pour ce département, pas plus que de campagne de communication officielle pour alerter le grand public du risque sanitaire. Les marées vertes de vasière sont pourtant un vrai sujet de préoccupation et nous pouvons espérer que les services de la préfecture, au-delà d’un simple courrier, vont rapidement venir en appui des communes littorales.
Les solutions existent
Aménagement du territoire
Nous subissons des augmentations des tailles d’élevage alors que les terres disponibles pour épandre les effluents (lisiers et fumiers) se réduisent chaque année. Dans le Morbihan, chaque année, en moyenne, 0,5 % des terres agricoles (SAU : surface agricole utile) qui sont urbanisées.
Sur le territoire du Sage du Golfe du Morbihan Ria d’Etel, la SAU est en baisse de 20% depuis 1998. L’artificialisation des sols dans le Morbihan a été très forte. Toutes ces terres bétonnées sont autant de surface en moins pour absorber les effluents d’élevages. De plus, la perte de zones humides (écosystèmes naturels à fort potentiel de dénitrification) renforce la fragilité des écosystèmes littoraux et côtiers qui sont d’autant plus sollicités pour absorber les flux d’azote. L’urbanisation de l’agglomération de Vannes, ville elle-même construite sur zone humide il y a quelques siècles, s’est réalisée en grande partie par le remblaiement de zones humides.
Nous demandons donc l’arrêt de leur destruction et la mise en œuvre d’un plan de réhabilitation des infrastructures naturelles (bocage et zones humides)
La régionalisation de la Pac
Le « en même temps » ne fonctionne pas : les choix de politique agricole en Bretagne ne peuvent plus laisser croire qu’il y a de la place pour tous les modèles agricoles et que la Bretagne a pour mission de nourrir le monde. L’agriculture intensive prend la place du potentiel de développement de l’agriculture agro-écologique, conduite d’élevage en système herbager, agriculture biologique, sylviculture,...
Il est donc essentiel que les pouvoirs publics prennent la mesure de l’urgence de la transition agricole pour la Bretagne. La réforme de la Politique agricole commune (Pac) est en cours et sa mise en œuvre en France peut être régionalisée. Nous incitons les élus locaux des communes littorales souvent « impuissants » face aux nitrates, à soutenir la régionalisation de la Pac pour que la Bretagne bénéficie des moyens financiers pour accompagner la profession agricole à réaliser la transition seule susceptible de baisser la pression azotée. Pour les contribuables, ces 450 millions d’euros par an de la Pac serait une plus juste utilisation des fonds publics.
Pour lutter contre les marées vertes, soutenez-nous !