Justice | Quelles analyses pour les eaux de baignade ?
Le rapporteur public du tribunal administratif vient de donner raison à Eau & Rivières de Bretagne : l'Agence régionale de santé pourrait avoir écarté les "mauvaises" analyses des eaux de baignade. Un scandale sanitaire enfin révélé au grand jour.
RésuméDepuis 2019, Eau & Rivières de Bretagne alerte l'Agence régionale de santé (ARS). Par un tour de passe passe, elle écarte les mauvais résultats sur la qualité des eaux de baignade et déclasse ainsi d'importantes pollutions. Les conséquences ? Le public ne connaît pas précisément l'état des eaux et se baigne parfois, à ses dépens, dans une eau de mer polluée. Et la résorption des véritables pollutions n'est pas mise en œuvre. Face au refus de l'ARS de modifier son classement, notre association a donc saisi la justice. Le rapporteur public du tribunal administratif vient de nous donner raison et propose aux juges d'enjoindre l'ARS à reprendre ses calculs. On aurait donc bien affaire à un tour de passe passe dans les données, comme le sous entend le rapporteur. Un scandale sanitaire mis à jour par la ténacité des lanceurs d'alerte. |
Au début, il y a l’Iroise
En Iroise (Nord Finistère), depuis cinq ans, trois associations de protection de l’environnement (Eau & Rivières de Bretagne, Avenir en environnement en pays d’Iroise, Association pour la protection et la promotion de la Côte des légendes) mettent en évidence des anomalies dans le classement de qualité des plages, calculé chaque année par l'Agence régionale de santé.
Depuis 2016, les fermetures préventives à l'annonce d'épisodes pluvieux se multiplient. Pourtant, le classement des plages concernées s'améliore d'année en année. Comment le classement peut-il s’améliorer alors que les pollutions ne diminuent visiblement pas ?
Pluie = pollution = fermeture de plage = analyse mise de côté
Malgré les réticences de l'ARS à s'expliquer, nos associations finissent par trouver l'explication. Elle repose sur une interprétation de la directive "Eaux de baignade" (2006/7/CE). Celle-ci décrit très en détail la manière dont le classement doit être établi, à partir de l'analyse de prélèvements aléatoires d'eau de mer sur chaque plage surveillée.
Au lieu de faire le calcul sur tous les prélèvements, bons et mauvais, l'ARS prend prétexte que la baignade était interdite à titre préventif pour écarter du calcul les prélèvements pollués !
En Bretagne les épisodes pluvieux importants ne sont pas rares et sont prévisibles. Les communes peuvent ainsi protéger la santé des baigneurs en interdisant la baignade lorsque la pluie est annoncée. Et cette fermeture permet aussi à l'ARS d'éliminer ce prélèvement du classement. Dans le cas où un prélèvement aléatoire tomberait par malchance pendant cette période et où ce prélèvement serait pollué.
Cette politique de "gestion active" permet de faire disparaître du classement une grande partie des pollutions. En 2019, par exemple, sur 86 pollutions majeures, 82 ont été retirées.
Comme le classement est calculé sur quatre ans glissants, d'année en année le classement s’est progressivement amélioré, une année "avec pollutions" étant remplacée par une "année sans pollution".
Ce classement sert de base à une communication bien visible sur l'amélioration de la qualité des eaux de baignade en Bretagne, car ces pratiques découvertes en Iroise concernent en fait toute la Bretagne.
Le début du contentieux juridique
En considérant les phénomènes de pluie comme des causes de pollution l’État français détourne la réglementation européenne. En août 2020, Eau & Rivières de Bretagne dépose donc plainte contre l’État auprès de la commission européenne.
Un an plus tard, face au refus de l’ARS de corriger les résultats du classement, nous attaquons l’institution au tribunal administratif.
Ce mardi 6 juin 2023 est à marquer d’une pierre blanche : le rapporteur public nous donne raison et dénonce l’erreur de l’ARS, qui n’est pas seulement cantonnée à l’Iroise mais à toute la Bretagne.
À qui profite cette manipulation?
Mais à qui profite le fait que le thermomètre soit cassé ? Certainement pas aux baigneurs, incités à se baigner sans méfiance sur des plages aux eaux de qualité médiocre. Sans doute aux communes littorales, où le tourisme balnéaire est une activité importante. Mais surtout aux pollueurs, que ces bons classements dispensent d'efforts supplémentaires.
D'abord, les communes où les systèmes d'assainissement sous-dimensionnés ou mal entretenus ont tendance à déborder à chaque pluie, nécessitant des travaux importants et coûteux pour les usagers : l'amélioration du classement permet de justifier une baisse des efforts d'entretien.
En cause, l’élevage intensif et ses effluents
Mais aussi, et surtout, l'élevage intensif.
Les animaux élevés hors sol qui représentent plusieurs fois la population de la Bretagne génèrent des quantités impressionnantes d'effluents très chargés de bactéries, le plus souvent épandus sur les champs sans traitement, et lessivés à chaque pluie. Et justement, les plages les plus polluées en Bretagne en été ne sont pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, des plages urbaines exposées aux débordement de réseaux d'assainissement surchargés : ce sont des plages situées à l'embouchure de cours d'eau situés en aval de bassins versants déjà pollués par les effluents et les excédents d'azote.
La carte des pollutions des eaux de baignade ressemble en effet furieusement à celle des pollutions par les nitrates et les algues vertes.
La justice remet les pendules à l’heure
Maintenant que la justice administrative semble vouloir rétablir la méthode, il faut espérer que les services de l’État vont pouvoir se concentrer sur les manières de réduire les pollutions bactériologiques par les élevages et les assainissements défectueux. En moins de temps que pour les nitrates et les pesticides peut-on espérer !
Le tribunal administratif rendra sa décision dans les 15 à 20 jours suivant l’audience.