Le contentieux des nitrates d’origine agricole
Dès que l’on évoque le contentieux européen des nitrates il convient de faire la différence entre deux textes européens qui visent une réduction de la teneur en nitrates dans les cours d’eau :
- la Directive n° 75/440/CEE du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire dans les États membres
- la Directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.
Le mirage de l’application du Droit Européen
La première Directive du 16 juin 1975 fixe un plafond de 50 mg/l de nitrates au-delà duquel les collectivités ne peuvent prélever dans les rivières des eaux destinées à la consommation humaine.
En Bretagne depuis le début des années 1980, la pollution aux nitrates des eaux gagnait du terrain dans la région. Certains cours d’eau affichaient un taux de 120 mg de nitrates par litre. Après une plainte de l’association Eau et Rivières de Bretagne auprès de la Commission européenne et une série de mises en demeures, la justice Européenne a pris le relais :
- La Cour de Justice des Communautés Européennes a condamné la République française au manquement de la Directive 75/440/CEE (1) ;
- La République française est mise en demeure par une lettre de la Commission Européenne du 21 décembre 2001 de respecter les dispositions de l’arrêt du 8 mars 2001 ;
- Le 27 juin 2007 au regard des insuffisances des mesures nationales, la Commission saisie la Cour afin de condamner la République française à une amende de 28 millions d’euros ainsi qu’a une astreinte journalière de 117 882 euros ;
- En octobre 2007 la Commission décide de repousser la saisine de la Cour compte tenu du plan présenté par la République française pour s’extraire du contentieux relatif à la directive 75/440/CEE du 16 juin 1975 et de la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991 ;
- Le 24 juin 2010, la Commission annonce qu’elle met fin à la procédure engagée.
La deuxième Directive du 12 décembre 1991 (91/676/CEE) concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles fixe un délai de quatre ans à partir du 12 décembre 1991 pour élaborer des programmes de reconquête de la qualité des eaux.
La République française a fait l’objet de trois condamnations en manquement de la Cour de justice des Communautés Européennes et de l’Union européenne. Ces trois condamnations concernent des manquements relatifs à l’application de la directive mais sur des dispositions différentes de celle-ci :
- Le 27 juin 2002 la Cour de Justice des Communautés Européennes condamne en manquement la République française pour ne pas avoir correctement identifié les eaux atteintes par la pollution aux nitrates et ne pas avoir désigné les zones vulnérables visées à l’article 3 de la directive (2) ;
- Le 13 juin 2013 la Cour de Justice de l’Union Européenne condamne en manquement la France au visa des articles 3 et 4 de la Directive pour ne pas avoir désigné comme vulnérables dix zones dans lesquelles la pollution par les nitrates est élevée. Ces zones n’ont pas non plus fait l’objet de politiques de restauration de la qualité de l’eau (3);
- Le 4 septembre 2014 la France est une nouvelle fois condamnée en manquement, cette fois-ci concernant les mesures d’exécution des dispositions de la directive : interdiction d’épandage trop courte, insuffisance des programmes d’action départementaux, insuffisance concernant l’équilibre de la fertilisation, imprécision des épandages en forte pente, absence d’interdiction d’épandage des sols gelés ou couverts de neige (4).
Suite à ces condamnations un travail de concertation a été orchestré par le ministère de l’agriculture afin d’ajuster le programmes d’action qui ont été depuis mis en place. Depuis 1993 le ministère a tenté en vain de répondre aux exigences environnementales via la désignation de zones vulnérables et la signature de plusieurs programmes d’actions.
Ce n’est qu’en 2011 qu’un véritable programme d’actions a été mis en œuvre avec la signature de l’arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d’actions national afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. C’est ce texte, toujours en vigueur, qui a fait l’objet de plusieurs renforcements en octobre 2013 et en octobre 2016 suite aux condamnations de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Le 29 septembre 2016 le ministère de l’agriculture a fait part du « satisfecit » de la Commission européenne sur les modifications du plan d’action nitrates engagé par la France. Enfin, le 8 décembre 2016 le ministère de l’agriculture a annoncé via un communiqué de presse que le contentieux européen concernant la Directive 91/676/CEE relative à la protection des eaux par les nitrates a été clôturé par la Commission Européenne.
L’heure du bilan
Au vu de ces événements, il est clair que le ministère est passé maître dans l’art de jouer avec la montre. Il a fallu à chaque fois se trouver aux portes du deuxième arrêt en manquement de la Cour de Justice pour que la réglementation se conforme aux dispositions européennes. Pour rappel, la Commission était à deux doigts de saisir la Cour de Justice afin de condamner la France à une amende de 20 millions d’euros et une astreinte mensuelle estimée à 3,5 millions d’euros.
De prime abord, les défenseurs de l’environnement peuvent se féliciter d’une fin heureuse. En effet, depuis 2016 la réglementation française semble conforme aux exigences européennes et des zones vulnérables ont été définies sur l’ensemble du territoire avec des programmes d’actions régionaux visant à diminuer la pollution des eaux. De plus, ce dispositif s’additionne avec les objectifs de qualité des eaux fixés par la Directive Cadre sur l’Eau (2000/60/CE du 23 octobre 2000). Cependant la réalité est beaucoup plus nuancée.
Un dispositif encore fragile
Il est indéniable que des évolutions réglementaires ont eu lieu avec des répercussions sur le terrain. De fait, le taux de nitrates dans les rivières bretonnes est passé de 50 mg par litre en moyenne en 2000 à un peu plus de 30 mg depuis 2016. Une forme de communication relative aux « efforts fait par les professionnels » est depuis palpable. Il convient toutefois de souligner que ces « efforts» prennent leur origine dans la menace d’une sanction par le Juge Européen. Il convient également de souligné que depuis que ces résultats sont palpables le système agro-industriel n’a de cesse que de demander des « assouplissement » réglementaires.
Deux ans après la fin du contentieux, le renforcement a cédé la place à l’assouplissement. Lors d’une réunion avec la Commission le 11 septembre 2018 des parlementaires européens et des représentants des organisations professionnelles prônent un assouplissement des règles d’épandages des engrais azotés dans les champs.
Des assouplissements ont déjà eu lieu en France concernant le 6ème programme régional d’action en Bretagne. Ce programme d’action contesté a notamment diminué les périodes d’interdiction d’épandage en hiver. Sur le terrain, il a été observé que depuis 2015, soit depuis la fin du contentieux, les concentrations des nitrates dans les cours d’eau breton stagnent et sont même reparties à la hausse dans certains secteurs mettant fin à toute théorie de «ralentissement » de réduction des nitrates.
Un nouveau contentieux en ligne de mire ?
La France est passée d’une absence de réglementation à une carence dans son application. Ce n’est plus réellement le dispositif réglementaire qui est mis en cause mais les moyens déployés pour le faire respecter. En effet, les seuils fixés par les différentes directives sont encore loin d’être atteints :
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Le seuil maximum de 50 mg de nitrates/l est fixé comme référence du bon état et de la qualité de l’eau ainsi que la compatibilité de cette qualité avec la production d’eau destinée à alimenter les populations ;
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La valeur guide fixée dans la réglementation nationale pour les eaux destinées à la consommation humaine est de 25 mg de nitrates/l ;
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Le seuil défini pour déterminer le risque d’eutrophisation entraînant un classement en zone vulnérable est de 18 mg de nitrates/l.
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Dans la plupart des Zones d’Action Renforcées (ZAR) pour causes de marées vertes les scientifiques indiquent qu’il faudra redescendre en dessous de 10 mg/L
Ainsi, en 2017 la Bretagne, située en zone vulnérable, dispose de seulement 56 % des cours d’eau classés en « bon état » dont 13 % en « très bon état ».
La réponse de l’État n’est pas non plus à la hauteur des enjeux : sur un parc agricole de plus de 30 000 installations en Bretagne, le nombre de fonctionnaires dédiés est de 38 équivalents temps plein en 2021 contre une cinquantaine cinq ans avant. Le taux de contrôle est de 1 % à 5 %, à l’exception des zones les plus sensibles. Concernant les installations classées le taux de contrôle est aux alentours de 14 %. En 2021 une évaluation de la cour des compte sur les plans de lutte contre les algues vertes avance une diminution de 72 % du taux de contrôle dans ces baies entre 2010 et 2020.
Le 15 février 2023 La commission envoie un avis motivé à la France. L’eau distribuée dans plusieurs territoires ne respecte toujours pas la limite de qualité de 50 mg encadré par Directive 98/83/CE du Conseil du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. L’Etat disposait d’un délai de deux mois pour y répondre et prendre les mesures nécessaires. Faute de réponse adéquate Bruxelles peut décider de saisir la Cour de justice de l’Union européenne et ouvrir un nouveau front contentieux…
Le 7ème programme d’action national en court de déclinaison dans les Régions (PAR7) déployé avec près de 2 ans de retard par la France et sévèrement critiqué par l’Autorité environnementale en 2021 ne semble pas être de nature à pouvoir rassurer la commission.
C’est bien une amélioration constante de la qualité des masses d’eau qui est visée par les dispositions de la Directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000. Compte tenu du non-respect des objectifs de qualité, des risques d’augmentation des teneurs en nitrates dans les cours d’eau et de la baisse des moyens de contrôles de l’État, la France n’est pas à l’abri de renouveler l’expérience européenne.
(1) CJCE 8mars 2001 C-266/99, Commission c/France.
(2) CJCE, 27 juin 2002, C-258/00, Commission c/France.
(3) CJUE, 13 juin 2013, C-193/12, Commission c/France.
(4) CJUE, 4 septembre 2014 C 237/12 Commission c/France)