Rapport "algues vertes" | Des critiques... et des propositions

02 juillet 2021
Rapport

Le rapport d’évaluation des politiques de lutte contre les marées vertes de la Cour des comptes aborde cinq pistes d’évolution, autant de conditions de la réussite de la lutte contre les prolifération des algues vertes. Analyse de ces recommandations.

 

La Cour des comptes relève la nécessité de poursuivre les actions menées pour ne pas démobiliser et précise que cette politique a besoin de temps. Pour autant elle souligne que les faibles résultats des Plan de lutte contre les algues vertes ne plaident pas spécialement pour une prolongation à l’identique ou une transposition stricte sur d’autres territoires, mais plutôt à un renforcement des outils de droits communs, une redéfinition des leviers incitatifs et un renforcement de la réglementation.

 

 

Consulter ici les observations transmises par Eau & Rivières à la Cour des comptes.

 


1. Renforcer la lutte contre la prolifération des algues vertes au-delà des huit baies bretonnes concernées par les Plan de lutte


Que dit le rapport ?

La Cour des comptes ne répond pas directement à la question de l’élargissement du Plan de lutte contre les algues vertes (Plav)  mais préconise que dès 2022 un volet de lutte contre les fuites d’azote assorti d’objectifs évaluables soit introduit dans les Schémas d’aménagement des eaux (Sage) concernés par des échouages (sur sable comme sur vasière).


Qu’en pense Eau & Rivières ?

C’est une recommandation intéressante car bon nombre de bassins versants ont fui le débat sur des objectifs de fuite d’azote. Nous pensons également que cela n’aura d’intérêt que si le non respect de cette recommandation vaut suppression des aides de l’Agence de l’eau dans les contrats de territoire.


2. Définir des objectifs évaluables et en suivre la réalisation à l’échelle des bassins versants


Que dit le rapport ?

La Cour prend acte du recul de l’État français qui n’affiche plus l’ambition d’atteindre le bon état pour 2027 mais seulement un état moyen. Elle estime quand même nécessaire de ne pas prendre le risque de laisser filer et se retrouver en infraction vis à vis de nos engagements européens. Elle fait trois recommandations pour l’éviter :

  • Fixer des objectifs de changement de pratiques agricoles qui soient évaluables
  • Fixer le seuil de concentration moyenne en nitrates des cours d'eau qui permettrait de diminuer de moitié les échouages d’algues vertes dans les huit baies algues vertes et les principaux sites vasiers bretons et engager cette réduction sans attendre
  • Mettre en place un système d’information intégré et partagé sur les fuites d’azote, la fertilisation mais aussi le suivi financier des actions de lutte contre les marées vertes


Qu’en pense Eau & Rivières ?  

Nous savons depuis longtemps qu’il faudra descendre sous la barre des 10 mg/L dans les baies les plus sensibles pour espérer obtenir les premiers effets significatif sur les marées vertes. Or  après deux décennies de gains significatifs (-30%) principalement liés au renforcement de la réglementation, la Bretagne n’avance plus. Du bon état à l’état moyen : ce changement d’ambition est à lui seul un aveu d’échec. Nous devions l’atteindre en 2015 !


Sur la question des objectifs, contrairement à la Cour des comptes, nous pensons que c’est sur les évolutions de système, qui entraîneront de fait une réduction du cheptel, qu’il faut obliger les territoires à s’engager. Nous réclamons par exemple qu’au moins 30 % de la Surface agricole utile, soit convertie en bio d’ici 2027.


Ce rapport a aussi mis le doigt sur quelque chose d’assez scandaleux en Bretagne, c’est l’opacité qui règne sur les données tantôt entre les mains, de la Chambre d’agriculture, tantôt entre les mains de la Draaf, de la Dreal ou des préfectures avec un certain cloisonnement « entretenu » pour que ces infos ne puissent se parler.


3. Dans le cadre de la prochaine programmation de la Politique agricole commune, redéfinir les leviers incitatifs aux changements des pratiques et des systèmes agricoles

 

Que dit le rapport ?

Il est indispensable d’ouvrir des mesures plus attractives que les actuelles mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) pour lutter contre les fuites de nitrates, ce qui suppose qu’elles répondent à l’avenir à quatre critères :

  • Adaptées à tous les types d’activités agricoles (tout repose aujourd’hui sur le bovin)
  • Elles doivent être plus ambitieuses sur le plan environnemental et cibler les fuites de nitrates (aucune MAEC ne le fait actuellement)
  • Elles doivent être plus rémunératrices pour inclure la rémunération de la prise de risque  
  • Il serait également intéressant d’envisager des MAEC « évolutives », qui permettent de débloquer des niveaux d’aide plus élevés lorsque les objectifs sont atteints.

La Cour préconise aussi que les dispositifs de « Conseils » soient mieux encadrés par les services de l’État  et que les innovations apparues dans les Plav (Boucle vertueuse et Chantiers collectifs) soient maintenues et amplifiées pour faire que les techniques de semis précoces soient mieux maîtrisées.

Enfin, l’évaluation revient sur le label à la mode du moment, parce qu’il en a été question dans la loi Egalim celui de la HVE (Haute valeur environnementale) pour recommander d’intégrer dans les outils de certification environnementale l’exigence de pratiques de fertilisation à très faibles fuites d’azote »


Qu’en pense Eau & Rivières ?

Nous préconisons la création de mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) de transition, complémentaires des MAEC existantes. Elles permettraient d’engager une réelle transition, qui aurait pour conséquence une réduction de cheptel sur le territoire et l’introduction de nouvelles pratiques de production moins dépendantes des volumes. Pour cela, nous soutenons une évolution significative de la future Politique agricole commune, ce que le gouvernement et la FNSEA se refusent à faire aujourd’hui.


Nous sommes aussi très heureux de constater que les magistrats nous rejoignent sur l’analyse que nous faisons du faible intérêt de la certification HVE pour la Bretagne tant que les critères ne concerneront pas l’azote. Quand aux organismes de conseils en place, il n’est pas difficile de décrypter que derrière un langage très policé, aucun magistrat n’est dupe face à l’évidence : les conflits d’intérêts sont partout. Comment faire confiance à une coopérative qui gagne sa vie en vendant de l’azote minéral pour réduire la consommation d’azote ?


4. Mobiliser les leviers du foncier agricole et des filières agroalimentaires


Que dit le rapport ?

De nombreuses propositions dans cette partie ! Quelques exemples :

  • Conditionner les aides accordées aux entreprises des filières agroalimentaires à des engagements sur la prévention des fuites d’azote.
  • Réviser le Schéma directeur régional des exploitations agricoles pour favoriser l’attribution des parcelles, notamment en bassin versant algues vertes, aux exploitations présentant un projet à faibles fuites d’azote
  • Envisager qu'une expérimentation soit menée dans les bassins versants algues vertes, en élargissant les dispositions de l’article L. 218-1 du code de l’urbanisme pour permettre à une collectivité de disposer d’un droit de préemption des surfaces agricoles afin de préserver le bon état d’une masse d’eau.

 

Qu’en pense Eau & Rivières ?

Écoconditionner les aides à l’agriculture mais aussi à l’ensemble des acteurs de la filières agro-industrielle à de réels engagements à réduire la pollution azotée est une évidence, encore faut-il le mettre en musique et les magistrats l’ont bien saisi. De même qu’ils ont bien saisi qu’il y a avait quelque chose d’assez aberrant dans le dossier sur la gestion du foncier dont le Plav a fait l’une de ses priorités mais que les acteurs se sont consciencieusement attachés à ne pas faire avancer : chambre d’agriculture, commissaire du gouvernement et représentant du Conseil régional dans les Safer tous coupable d’inaction. À cela,ajoutons la frilosité des collectivités à constituer des réserves foncières comme cela est rappelé dans ce rapport qui propose une piste intéressante de pouvoir de préemption des collectivités en vu d’atteindre le bon état comme cela est possible sur les Aires d’alimentation des captages. Sur ce chapitre le rapport fait des propositions vraiment pertinentes. Seront-elles suivies ?


5. Adapter et faire respecter la réglementation


Que dit le rapport ?

Là encore, la Cour fait plusieurs propositions.
Le septième Programme d’actions régional (PAR) de la directive nitrates, en cours de préparation, devrait intégrer a minima dans les bassins algues vertes, et de préférence pour toute la région :

  • la généralisation du suivi d’indicateurs de fuites d’azote (reliquats, etc.) dans les zones sensibles et dans les exploitations les plus à risque, de façon à mieux cibler les actions de conseil et à renforcer les contrôles, en cas d’indicateurs élevés récurrents ;
  • l’extension du dispositif Semafor, avec la déclaration dans un système d’information géographique des contraintes d’une parcelle, des données issues de la DFA et des surfaces d’épandage ;
  • l’obligation de faire réaliser un contrôle technique obligatoire des ouvrages de stockage d’effluents ayant plus de 15 ans avec vidange obligatoire et détection de fuites …

Dans sa recommandation n° 10, la Cour décrit : « En l’absence de résultats et sur des périmètres particulièrement sensibles, recourir en tant que de besoin à des zones sous contrainte environnementale (ZSCE) territorialisées et fondées sur une logique agronomique. » La Cour préfère la logique agronomique à la  logique de plafonnement (instauration d'une série de mesures agronomiques et paysagères comme le maintien des prairie, bandes enherbées de 50 m..., ce qui fait que le plafonnement des apports en azote total n'est plus nécessaire et peut être progressivement supprimé). Logique à laquelle pourrait être ajoutées des interdictions de pratiques culturales à fortes fuite d’azote, telles que les successions culturales maïs-maïs.

Elle préconise aussi de renforcer les moyens de contrôle sur cinq années pour permettre notamment de réaliser des reliquats post absorption et donner aux agents un accès rapide, complet et gratuit à toutes les bases de données d’identification animale. Assorti d’un rappel à la loi concernant la responsabilité des organismes de conseil dans l’établissement des plans prévisionnels de fumure non conformes.

 

Qu’en pense Eau & Rivières ?

Seulement 5% des fermes sont contrôlées en territoire algues vertes aujourd’hui contre 50% au début du Plav. Soit - 72 % de pression de contrôle dans le Plav en 10 ans ! C’est inacceptable. Nous réclamons des moyens significatifs de contrôle.
Il est intéressant de constater que cette évaluation aboutit aux mêmes conclusions que celles du juge du tribunal administratif. Elle a pourtant été conduite avant que le tribunal administratif ait donné raison à Eau & Rivières concernant l’absence de moyens réglementaires dans le PAR6 pour lutter contre les marées vertes. Il y avait donc bien une carence de l’État qu’Eau & Rivières n’a cessé de dénoncer depuis la fin du premier Plav qui aurait déjà du voir certains territoires en ZSCE.

 

Accéder au rapport de la Cour des comptes.

 

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