Extraction de sable, la CAN ne se relit pas ! [22/08/16]
"Sauvez notre sable"
La compagnie armoricaine de navigation (CAN) a demandé, et obtenu fin 2015, une autorisation d'extraction de sable coquillier dans la baie de Lannion, entre deux zones Natura 2000. Cette extraction met en péril un ecosystème marin fragile, notamment par l'une des espèces présentes : le lançon (ou plutôt les lançons puisqu'il en existe de plusieurs sortes). Une commission de suivi et d'information et de concertation (CSIC), à laquelle participe Eau & Rivières de Bretagne, est chargée de veiller à la mise en œuvre, conformément à l'arrêté préfectoral, de ces travaux d'extraction.
C'est au mois de mai 2016, soit plus de 6 mois après l'obligation qui lui était faite, que la Direction régionale de l'environnement, de l'alimentation et du logement (DREAL) a mis en ligne une étude réalisée par la CAN et datée de décembre 2015. Notre représentant à cette instance s'étonne de ce calendrier alambiqué et de la réponse partielle du porteur de projet à l'obligation qui lui était faite. Eau & Rivières demande à ce que la que la CAN se conforme aux exigences de l'arrêté préfectoral qui lui a été délivré.
Voir la lettre ouverte :
"Dans cette affaire d’extraction de sable coquillier, l’arrêté préfectoral (co-signé des préfets des Côtes d'Armor et du Finistère) exigeait dès sa parution, le 1er décembre 2015 et sous 2 mois :
- la rédaction de l’état de référence (point zéro),
- une étude sur le lançon,
- une étude socio-économique (dans le cadre des impacts et conflits d’usage de cette zone),
- les avancées sur une extraction au large.
Ceci afin d’établir une feuille de route d’indicateurs de suivi des effets de cette extraction sur l’environnement au sens large (géologie, biodiversité (faune, flore), usagers, tourisme, …).
En mai 2016 apparaissait "discrètement" sur le site de la DREAL Bretagne, un "pavé de la CAN" de 652 pages intitulé : « État de référence du site de la Pointe d’Armor – Décembre 2015 » ! Quid alors des dates et délais? Est-ce que certains membres de la CSIC l’avaient déjà, et depuis quand, et pas d’autres, dès la réunion de la CSIC du 18 avril 2016 comme les élus présents et associations pour le moins ?
Concernant le lançon où il figure une étude de synthèse avec des mesures et des extraits de bibliographie ici "non expurgés", on peut lire qu’il existe 7 espèces de lançons : Amomodytes marinus, Ammodytes tobianus, Ammodytes haxapterus, Ammodytes personatus, Hyperoplus lanceolatus, Hyperoplus Immaculatus, Gymnamodytes semisquamatus. Les 3 dernières seraient présentes sur la dune, sans pour autant qu’au stade actuel la chercheuse du MNHN (Muséum National d’Histoire Naturelle : thèse en cours) puissent affirmer que la dune soit une nourricerie ou frayère par manque d’avancement dans ses recherches (pas encore d’analyse des gonades et marqueurs autres qu’otolites).
Néanmoins on peut lire dans cette étude page 11 (page 588 du fichier de la CAN) : "Le mécanisme de sélection de la zone de ponte est très peu connu pour les espèces autres qu’Ammodytes marinus. L’enfouissement de ces espèces dans le sable, les rend vulnérable à cette exploitation. Il pense que l’exploitation totale d’une même zone ne devrait pas être autorisée (De Groot 1979). Récemment, des modèles écosystémiques Ecopath et EcoTroph montrent que les extractions de granulats entraîneraient une réaction en chaîne tout le long du réseau trophique, allant jusqu’à modifier les biomasses des groupes n’étant pas directement impactés (Briffault 2011). »
Cela date déjà de 1979 et 2011 et reste très inquiétant. Le risque est avéré que les lançons s’enfuient et alors qu’en sera-t-il de toute la chaîne alimentaire et ses divers prédateurs friands du lançon suivant ces divers stades de croissance !? Faut-il attendre que l’extraction soit quasi permanente pour en décider ?! Certes, cela restera intéressant pour des chercheurs d’en savoir plus… Mais, cet écosystème, ce biotope majeur pour la région n’est pas seulement un laboratoire de recherche. C’est une zone de pêche, de plongée, de tourisme, de plaisance pour plusieurs usagers. On nous dit qu’on pourrait progresser (scientifiquement) avec certains marqueurs isotopiques. À quelle échéance, comment très concrètement avec quel suivi efficace des populations concernées sur la dune? Qui veut jouer aux apprentis sorciers ?
Que ferions-nous si l’ensemble des nombreux prédateurs (mammifères, poissons, oiseaux) s’enfuyaient alors aussi, recherchant des zones d’abondances plus propices alors à leurs cycles de vie respectifs ? On est bien là dans la vulnérabilité et fragilité de l’équilibre d’un biotope, d’un milieu vivant qui ne se résume pas à un minerai pour amendement calcaire pour agriculture intensive !
Doit-on faire l’impasse sur de tels risques qui peuvent s’avérer irréversibles au vu de ce qu’affirment De Groot et Briffault (« …ne devrait pas être autorisée » (sic) !).
C’est bien dans de tels cas que le principe de précaution doit être mis en œuvre en ajournant sine die cette exploitation et ici plus fermement en mettant fin à ces arrêtés et annulant le décret originel.
On attend toujours à ce jour la feuille de route pour le suivi : aucun tableau de synthèse avec métrique, définition, mise en œuvre, seuil d’alerte … Qui décidera de la sorte d’avancer en aveugle vers une catastrophe écologique portant sérieusement atteinte notamment à la réserve naturelle nationale des Sept Iles ?! Mais peut être que certains privilégiés l’auraient déjà ?
Patrice DESCLAUD (Eau & Rivières de Bretagne, membre de la CSIC)."