Non aux dérogations pour les pesticides tueurs d'abeilles!

18 août 2020
Non aux dérogations pour les pesticides tueurs d'abeilles!

 

18 ONG, dont Eau & Rivères de Bretagne, viennent de saisir le Ministre de l'agriculture et de l'alimentation lui demandant de renoncer à déroger à l'interdiction d'insecticides néonicotinoïdes en enrobage de semences sur la culture de la betterave.
Elles sont scandalisées par cette décision ministérielle qui constituerait un recul important du gouvernement sur la question de ces insecticides.

 

Mercredi 5 août, Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, annonçait sa volonté d’accorder des dérogations permettant d’utiliser des insecticides néonicotinoïdes en enrobage de semences sur la culture de la betterave. Une modification législative cet automne serait en cours pour permettre explicitement – pour la campagne 2021 et le cas échéant les deux campagnes suivantes tout au plus –  le recours à l’article 53 du règlement européen n°1107/2009 pour pouvoir prendre au moment des semis une dérogation de 120 jours pour les semences enrobées.

 

Nos organisations sont scandalisées par cette décision ministérielle qui constitue un recul important du gouvernement sur la question de ces insecticides. Cette décision est d’autant plus inacceptable que l’ANSES admettait dans un avis sur les néonicotinoïdes de 2018 qu’il n’y avait pas d’impasse technique pour cette culture.

 

Une décision injustifiable

Pour tenter de justifier cette position, le gouvernement par la voix de la ministre de l’Écologie mais aussi par celle de la présidente de la FNSEA, explique que la betterave étant récoltée avant floraison, cette dernière n’attirait pas les pollinisateurs et l’usage des néonicotinoïdes en enrobage de semence sur cette culture serait donc sans conséquence sur les abeilles.

 

C’est d’ailleurs l’argument martelé depuis plusieurs années par la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) dans son lobbying forcené pour obtenir cette dérogation à l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes sur la culture de la betterave en France. Ainsi dans leur pétition lancée il y a 2 ans, ils écrivent « […] cette interdiction n’apparaît pas justifiée dans le cas de la betterave : cette plante étant récoltée durant la première année, avant la production de fleur et de pollen, elle n’attire pas les abeilles. De plus, dans 95% des cas, cette culture est suivie de céréales à paille qui ne sont pas non plus attractives pour les insectes pollinisateurs ». C’est cet argument de la CGB que le gouvernement met en avant pour justifier désormais cette dérogation. Sur ce point, la Ministre de l’Écologie, Mme Barbara Pompili, se veut rassurante en écrivant dans l'un des tweets de son thread du 10 août en réponse aux nombreux messages qui lui ont été envoyés que dans le cadre de la dérogation prévue « … il sera interdit de planter des cultures à fleurs lors de la prochaine saison pour ne pas attirer les pollinisateurs. ».

 

Impossible de protéger les abeilles

La question est donc de savoir si cette mesure visant à interdire de planter des cultures à fleur après la culture de la betterave « aux néonicotinoïdes » sera suffisante pour protéger les abeilles ? Notre réponse est clairement non et pour au moins 2 raisons :

 

1 : L’exposition des abeilles et autres pollinisateurs aux néonicotinoïdes se fait aussi, et peut être même surtout, par les fleurs sauvages. Une étude de 2015 montre ainsi clairement que les plantes se trouvant à proximité des cultures traitées aux néonicotinoïdes sont largement contaminées, conduisant ainsi à une contamination importante du pollen ramené dans les ruche. Or les néonicotinoïdes agissent à des doses très faibles sur le système nerveux central des abeilles. À des doses sublétales, ils perturbent leur sens de l’orientation, leur faculté d’apprentissage, leur capacité de reproduction, etc.

 

2 : Les néonicotinoïdes sont persistants : ils sont transportés par la sève dans toute la plante au fur et à mesure de sa croissance, mais seuls 1,6 % à 20 % de la matière active est réellement absorbée par la plante, et plus de 80 % contaminent les sols, les cours d’eau et les nappes phréatiques…  Dans les sols, ces matières actives toxiques peuvent mettre plusieurs années à se dégrader, et les résidus obtenus après leur dégradation sont parfois plus toxiques que les matières actives elles-mêmes. On les retrouve donc longtemps après l’arrêt de leur utilisation dans les sols cultivés, dans les plantes y poussant les années suivantes et dans l’environnement des champs traités, exposant ainsi les pollinisateurs à un risque important. Ces risques pour l'ensemble des pollinisateurs sont confirmés par une étude de 2019 conduite par des chercheurs du CNRS et de l’INRA qui étudie les conséquences du moratoire de l’UE de 2013 restreignant l’emploi de trois de ces insecticides par le suivi de cultures de colza d’hiver pendant cinq années consécutives au moratoire européen, de 2014 à 2018.

 

Pas d'impasse technique

L’un des autres arguments mis en avant pour accorder cette dérogation serait l’impasse technique dans laquelle se trouveraient les betteraviers. Outre la mention faite plus haut de l’avis de l’ANSES en contradiction avec cet argument, se pose la question du modèle agricole dont on voit ici les faiblesses alors même que la betterave cultivée selon le cahier des charges de l’agriculture biologique semble, elle, peu ou pas touchée par la jaunisse.  Il est en outre consternant de constater que dans la vidéo de promotion de leur pétition, la CGB nous expliquait déjà avoir besoin de 2 années supplémentaires pour développer des alternatives et ce en…  2018. En 2020 il lui en faudrait finalement 3 de plus… Cet argument éculé de l’impasse technique et les demandes de délais successifs va finir par lasser les plus persévérants d’entre nous.

 

De même, sauver les betteraves grâce aux néonicotinoïdes serait une question de souveraineté alimentaire, selon le ministère de l'agriculture et les betteraviers. Outre la question de santé publique que pose la trop grande consommation de sucre et le fait que nous exportons quasiment la moitié de cette production, cette question mériterait d’être mise en regard de la place indispensable des pollinisateurs dans cette souveraineté…

En 2017, une étude a révélé que 80 % de la biomasse des insectes volants avait disparu en Europe en moins de trente ans ; les auteurs de cette étude estiment que les pratiques agricoles conventionnelles sont la première cause de ce déclin spectaculaire. L’intervention des insectes pollinisateurs assure pourtant la survie et l’évolution des plantes ; ils sont indispensables à la reproduction de 75 % des espèces cultivées. Les pollinisateurs influencent la qualité nutritionnelle de certaines productions. La présence d’une grande variété de pollinisateurs dans les cultures permet aussi d’augmenter les rendements. En octobre 2019, des scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ont démontré que la pollinisation gratuite des abeilles est bien plus avantageuse que l’utilisation de pesticides. Le maintien de la biodiversité en bon état, et notamment de nombreux des polinisateurs, est donc un élément essentiel de la production agricole et de notre souveraineté alimentaire.

 

Ultime argument avancé par les promoteurs d’un retour aux néonicotinoïdes : éviter l’effondrement de la filière sucrière France sans jamais évoquer les causes structurelles de cet effondrement : à savoir la fin des quotas de « sucre » en 2017 et la surproduction mondiale qui ont eu comme conséquence l’effondrement des cours et ont déstabilisés la filière dans son ensemble ! Il serait donc opportun d’interroger en premier cette cause majeure de l’effondrement de la filière avant d’apporter la mauvaise réponse que le gouvernement s'apprête à donner.

 

Des dérogations enviées

Pour finir, en ouvrant cette boîte de Pandore du recours aux dérogations pour les néonicotinoïdes – et comme nous pouvions le craindre – la voie est ouverte à des demandes émanant d’autres producteurs, maïsiculteurs en tête. Désormais c’est l’ensemble des filières qui vont se presser une à une dans le bureau du Ministre de l'agriculture pour obtenir de telles dérogations. 

 

Devant ce recul inacceptable, ce sont déjà plus de 95 000 citoyen.ne·s – et ce en quelques jours seulement et en plein cœur de l’été – qui ont réagi et qui demandent tout comme nos organisations de ne pas accorder cette dérogation !

 

Il y a urgence à mettre en place des politiques publiques efficaces de sauvegarde des pollinisateurs. La cour des comptes européenne pointant elle-même très récemment les échecs actuels des actions mises en place et dénonçant notamment les quelques 206 dérogations octroyées entre 2013 et 2019 en Europe pour l’usage des 3 principaux néonicotinoïdes sujet à restriction en 2013 puis strictement interdits en 2018 ! Après la publication de ce rapport comment peut-on sérieusement aujourd’hui prétendre défendre la biodiversité et accorder de telles dérogations ?

 

Télécharger le courrier adressé au Ministre de l'agriculture et de l'alimentation

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