Contentieux Européen eaux brutes 1992-2015

28 février 2019
Contentieux Européen eaux brutes 1992-2015

POLLUTION DES CAPTAGES D'EAU PAR LES NITRATES
LA BRETAGNE, MAUVAIS ÉLÈVE DE L'EUROPE

(dernière mise à jour 2015)

En 1992, lasse de constater que la pollution des eaux bretonnes par les nitrates ne cesse d’empirer, Eau & Rivières de Bretagne alerte la Commission européenne et réclame l'application de la directive n° 75/440/CEE du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire dans les Etats membres. L'association demande en particulier, que les plans de reconquête de l'eau, prévus en cas de dépassement des normes, soient rapidement mis en oeuvre.

En effet, cette directive fixe un plafond de 50 mg/l. de nitrates au-delà duquel, sauf dérogations notifiées à Bruxelles, les collectivités ne peuvent prélever dans les rivières des eaux brutes (ou naturelles) destinées à la consommation humaine. Ces dérogations, délivrées par la Commission européenne, sont conditionnées à la mise en œuvre de plans de gestion/restauration de la ressource en eau, qui doivent garantir un retour rapide en situation "normale", c'est-à-dire une réduction de la pollution par les nitrates en deçà du seuil de 50 mg/l.



En 1992, la France n'avait pas jugé utile d'informer la Commission européenne des dérives coupables de la gestion des eaux bretonnes. Aussi, dès 1993, la Commission adresse au gouvernement français une première mise en demeure de respecter la directive. Ce premier avertissement n'est manifestement pas pris au sérieux, si bien que la Commission le réitère le 28 octobre 1997, sous forme d'un avis motivé (seconde étape de la procédure en cas d’infraction à une directive, préalable indispensable à toute saisine régulière de la Cour de Justice des Communautés Européennes). Et le 16 juillet 1999, faute d'être convaincue par les éléments de réponse fournis par la France, la Commission saisit la Cour de Justice des Communautés Européennes.



Le 8 mars 2001, la Cour de Justice des Communautés Européennes condamne la France pour non respect de la directive de 1975 au triple motif : de la non-conformité de la qualité des eaux bretonnes en matière de nitrates, de l’absence de notification d’un plan d’action organique, et de l’absence de plans de gestion de la ressource sur les prises d’eau en situation de dépassement (voir l'arrêt de manquement (pdf - 22 ko) + les conclusions de l'avocat général (pdf - 146 ko)).



Le 21 décembre 2001, la Commission met en demeure la France d’appliquer l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes et de satisfaire aux obligations de cette directive. Les réponses de la France (des 17 avril et 19 novembre 2002) sont toujours jugées incomplètes.

 

 

Le 3 avril 2003, la Commission adresse donc au gouvernement français un nouvel avis motivé (pdf - 70 ko), lui enjoignant d’adopter enfin toutes les mesures d’exécution de l’arrêt du 6 mars 2001.



De 2003 à 2005, la France ne reste pas inactive, puisqu’elle va adresser à la Commission 11 courriers par lesquels elle notifie les plans de gestion ainsi que le plan général d’action organique. Deux réunions vont également se tenir à Bruxelles entre les représentants du gouvernement français et ceux de la Commission européenne, et la Bretagne va même accueillir le 22 février 2005 une délégation de la Commission venue enquêter sur la réalité des engagements français sur le terrain (Eau & Rivières y est auditionnée).



Le 13 juillet 2005, la Commission adresse un avis motivé complémentaire (pdf - 69 ko) à la France, considérant que les informations adressées par la France sur la politique de l’eau en Bretagne ne sont manifestement pas convaincantes (par courrier du 22 août 2005, la Commission en informe Eau & Rivières de Bretagne). Dans ce nouvel avis motivé, la Commission constate à nouveau que la France ne respecte pas les obligations qui lui incombent en matière de lutte contre les nitrates en Bretagne. Si elle observe que formellement, les documents qui devaient lui adressés (plan d’action organique, plans de gestion des prises d’eau en dépassement) lui sont bien parvenus, la Commission émet encore deux observations majeures :

- elle constate que la pollution par les nitrates dépasse toujours la limite des 50 mg/l. sur 15 des 29 rivières concernées par la plainte initiale ;

- elle observe que là où des mesures énergiques sont prises, notamment par la mise en place des périmètres de protection (captage de Saint-Ivy en Finistère), la pollution baisse rapidement ; et que donc, le délai laissé à la France depuis 2001 (date de la condamnation par la Cour de Justice des Communautés Européennes) aurait dû être suffisant pour rétablir la conformité des prises d’eau.

La Commission conclue donc en demandant à la France de prendre sous deux mois toutes les mesures que comporte l’exécution de la condamnation du 8 mars 2001. Elle rappelle également à fins pédagogiques les sanctions financières auxquelles s'expose l'Etat français en cas de nouvelle saisine de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

 

 

En janvier et février 2007, la France, soudain consciente du risque immédiat de sanctions financières, propose à la Commission diverses mesures visant à accélérer la reconquête de l'eau sur les bassins non conformes : mise en oeuvre de mesures agri-environnementales, renforcement des contrôles, mise en place de bandes enherbées... La France propose également de fermer 4 captages d'eau situés sur l'Horn et l'Aber Wrac'h (Finistère) ainsi que sur l'Ic (Côtes d'Armor) et Les Echelles (Ille-et-Vilaine). Malgré ces mesures, et constatant que les teneurs en nitrates dépassent toujours fin 2006 le plafond fixé par la directive de 1975, la Commission européenne décide le 21 mars 2007 de saisir la Cour Européenne de Justice. Toutefois, elle se donne un délai de 3 mois pour mettre en œuvre cette saisine, la France ayant in extremis fait part de nouvelles observations (lire le communiqué de la Commission).

 

Le 27 juin 2007, la Commission décide de mettre à exécution sa décision, faute d'être convaincue par les derniers éléments d'information fournis par la France sur ce nouveau plan de restauration des eaux bretonnes : elle décide donc de saisir la Cour Européenne de Justice afin de voir condamner la France à une amende de 28 millions d’euros ainsi qu’à une astreinte journalière de 117 882 euros. La Commission estime que "ce plan n'a pas été complètement engagé, notamment du fait du peu de mesures agro-environnementales souscrites volontairement par les exploitants agricoles et des incertitudes subsistant sur la mise en oeuvre effective des mesures obligatoires au 1er janvier 2008" (voir le communiqué de la Commission). 



Pour les associations environnementales et les organisations de l'agriculture durable, "il importe à présent, pour que la facture soit la moins élevée possible, de tout faire pour atteindre au plus tôt les objectifs de qualité des eaux sur les bassins versants en dépassement, et d’adopter des mesures de prévention pour les autres. La fermeture des captages ne résout rien, est injuste vis-à-vis des consommateurs-contribuables, et risque au contraire de démotiver les acteurs locaux; il s’agit de trouver les voies d’un développement agricole qui économise les intrants,  améliore la valeur ajoutée, et abaisse la pollution. Cette agriculture qui produit tout en préservant l’environnement existe en Bretagne. Mais les agriculteurs qui la pratiquent sont pénalisés par l’application française de la PAC: où est la cohérence ? Il faut donc mobiliser tous les acteurs (monde agricole, puissance publique, distribution, consommateurs, recherche agronomique...) et mettre en oeuvre les mesures transitoires nécessaires - puis les actions à moyen terme - conduisant à la mutation positive attendue." (voir le communiqué des associations - et le communiqué du ministère).

 
A la suite de cette décision, le gouvernement français a multiplié durant l’été 2007 les contacts avec la Commission européenne. Il s’agissait de donner des gages à celle-ci que les engagements pris allaient être tenus.

Le 30 août 2007, le Journal Officiel publie le décret n° 2007-1281 du 29 août 2007 « relatif à certaines zones de protection des aires d'alimentation des captages » : il impose aux exploitations agricoles des neuf bassins versants la réduction des épandages d’azote (télécharger le décret). Parallèlement, le calendrier de fermeture des prises d’eau est arrêté : ce sera le 30 septembre 2007 pour le Bizien, le 31 décembre 2008 pour l’Ic et Les Echelles, et le 30 juin 2009 pour l’Horn.


Le 12 septembre 2007, la Commission annonce qu’elle suspend sa décision de traduire une seconde fois la France devant la Cour Européenne de Justice… (lire le communiqué de la commission). Prudente, elle demande cependant à la France de lui rendre compte tous les trois mois de la mise en œuvre du plan d’action. Et fin 2009, elle vérifiera que les nitrates sont bien redescendus en dessous des 50 mg/l sur les neuf bassins versants concernés.


Enfin, le 24 juin 2010, la commission annonce qu'elle met fin à la procédure engagée considérant que : "La France a mis en œuvre son plan d'action et s'est ainsi en grande partie conformée à la réglementation; en effet, fin 2009, seules trois sources d'eau potable présentaient encore des concentrations de nitrates légèrement supérieures à 50 mg/l. Et d'après les données relatives aux concentrations de nitrates couvrant la période janvier-avril 2010, ces trois points de captage sont désormais pleinement conformes". La commission en donc conclu qu'il n'était pas justifié de poursuivre la procédure (voir le communiqué de la commission).


Des centaines de millions d’euros engloutis dans une reconquête de l’eau au final peu efficace, des captages d’eau abandonnés alors que les collectivités y avaient consenti des investissements importants, un Etat français impuissant à réguler correctement l’agriculture intensive, des ministres et préfets qui n'agissent que sous la pression européenne, le bilan n’est guère flatteur…

Pour autant, avec cette décision , la Bretagne n'en a pas encore fini avec le risque de sanctions européennes. Une procédure concernant toujours les nitrates, mais cette fois-ci, sur la base de la directive du 12 décembre 1991 relative à la lutte contre les pollutions de l'eau par les nitrates d'origine agricole, est en cours depuis la fin 2009. En savoir plus
 
 
Juillet 2015 La commission européenne informe le gouvernement français qu'elle considère à présent comme conformes, cinq des 9 bassins versants longtemps surnitratés, mais qui aujourd'hui sont repassés en dessous du maximum admissible de 50 mg/l. Elle indique au gouvernement dans un courrier daté du 13 juillet qu'il peut lever les mesures de limitation des épandages imposés sur ces bassins versants de l'Urne, du Guindy, du Gouessant, de l'Arguenon (Côtes d'Armor) et de l'Aber Wrach (Finistère).
 


Illustration de la gabegie des finances publiques :
l'usine des eaux du Bizien à l'arrêt à cause des nitrates

 

Pour aller plus loin:

- sur les risques financiers découlant des infractions européennes dans le domaine de l'environnement :
Voir le rapport du Sénat - Le suivi des contentieux communautaires dans le domaine de l'environnement (Fabienne KELLER) - juin 2008 (pdf - 350 ko).
Voir le rapport du Sénat - Le suivi des contentieux communautaires dans le domaine de l'environnement (Fabienne KELLER) - juin 2007 (pdf - 276 ko).
Voir le rapport du Sénat - Les enjeux financiers liés au droit communautaire de l'environnement (Fabienne KELLER) - juin 2006 (pdf - 512 ko).
Voir le rapport de l'Inspection générale de l'environnement - La prévention des contentieux communautaires au sein de l'administration déconcentrée - novembre 2005 (pdf - 1,5 Mo)

- sur la procédure d'infraction distincte, concernant la teneur en nitrates des eaux alimentaires distribuées en Bretagne :
Voir l'actualité de la semaine 15/2006 : L'eau conforme, une illusion coûteuse.
Voir l'arrêt de manquement de l’Etat français du 18 octobre 2004 (pdf - 65 ko).
Voir l'actualité de la semaine 21/2007 : Cours d'eau pollué par les nitrates et eau non potable, l'Etat n'a pas fait son travail
Voir l'actualité de la semaine 9/2009 : Captages, la politique du tuyau
Voir l'actualité de la semaine 29/2015 : Captage, retour à la confomité pour l'Europe

- sur les relations entre les directives communautaires et le droit français de l'environnement :
Voir les principaux textes juridiques.

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