Gestion des sécheresses : un peu de mieux mais beaucoup de moins bien

26 mai 2023
Gestion des sécheresses : un peu de mieux mais beaucoup de moins bien

La sécheresse de l’an dernier a marqué les esprits et avait révélé le manque d'anticipation des décideurs. Plutôt que de revoir les critères du déclenchement, les arrêtés encadrant la sécheresse en Bretagne actuellement en cours de révision s'attachent à élargir les exemptions. Décryptage.

   

Comment gère-t-on la sécheresse ?

En cas de situation de manque d’eau, pour limiter les conséquences sur l’alimentation en eau potable, garantir la salubrité et assurer un fonctionnement correct des milieux aquatiques, Pauline Pennober, chargée de mission Politiques de l'eau indique que « les préfets doivent prendre des mesures temporaires de restriction ou de suspension des usages de l’eau. Ce sont les arrêtés cadres de gestion de la sécheresse qui fixent dans chaque département les conditions de déclenchement et les restrictions spécifiques des arrêtés ponctuels de restriction des usages de l‘eau. »

 


Consulter notre article complet consacré à ce sujet

 

Retour sur la sécheresse 2022

Cette sécheresse avait mis en évidence de nombreux points de défaillance :

  • Dans de nombreux secteurs des Côtes d’Armor, du Finistère et du Morbihan, les seuils de déclenchement des restrictions sont inadaptés. Cela a conduit à une prise de conscience trop tardive de la gravité de la situation.

  • A l’exception de l’Ille-et-Vilaine, une communication globalement insuffisante et trop peu relayée par les collectivités pour être efficace.

  • Si les solutions extrêmes de citernage, voire de distribution de packs de bouteilles d’eau sont restées exceptionnelles (voir exemple pour le Finistère ci-dessous), le constat a posteriori est que nous sommes passés à 15 jours de la rupture d’alimentation sur des zones plus importantes.

  • Pour l’eau potable, les dérogations qui permettent de continuer de prélever sous le seuil du dixième du module (seuil définit pour garantir la survie, la circulation et la reproduction des espèces aquatiques ou dépendantes de l'eau) ont été particulièrement nombreuses. Mais elles n’étaient pas assorties de mesures permettant d’en mesurer les impacts sur ces milieux aquatiques. Quant aux autres dérogations, on ne saura rien des détails. Elles n’ont pas été rendues publiques ! Les bilans fournis en début 2023 sont globaux. Les préfectures ont-elles eu honte de communiquer sur ces exemptions ?

  • Les dérogations qui ont été accordées, comme pour arroser les pelouses des stades, n'ont pas systématiquement été accompagnées par un renforcement des contrôles, ni même de mesures de réduction de consommation. Plus généralement, le suivi de l’effet des restrictions a été très insuffisant. D’ailleurs, nous n‘avons pu obtenir un bilan de leur efficacité. Il serait impossible selon certaines préfectures.

  • Les conséquences sur le milieu aquatique ont été peu étudiées

 

extrait_bilan_secheresse_2022.png

carte extraite du plan d'action Finistère Eau potable 2030

 

Ou en est on ?

Après une phase d’échange avec les différents représentants et en se basant plus ou moins sur le retour d’expérience de 2022 (plutôt mieux dans les Côtes d’Armor et l’Ille-et-Vilaine qu’en Finistère et en Morbihan). Ils sont aujourd’hui en phase de consultation du public, à savoir :


Ils devraient ensuite être rapidement approuvés par les différents préfets départementaux – a priori d’ici la fin du mois de juin. Mais alors que penser de ces évolutions ? Les restrictions d’usage proposées sont-elles renforcées, affaiblies ?

 

Les « tops »…

Nous notons quelques progrès dans les nouveaux projets d’arrêtés  :

  • Des restrictions plus fortes pour les piscines privées ;

  • Une amélioration de la communication ;

  • Des dérogations qui seront publiées (c’est la loi) et « pourront » s’accompagner de mesures de suivi des rivières ;

  • Certains départements proposent d’accompagner les dérogations de mesures compensatoires.

 

et surtout les gros flops

Mais pour Nicolas Forray, secrétaire général de l'association et hydrologue

 

« La première urgence, afin de mieux anticiper et donc gérer ces périodes de pénuries, serait de revisiter les seuils et les conditions de déclenchement des mesures de restriction. Mais ces points ont été renvoyés à plus tard, au mieux à 2024. Pourtant, quelques travaux préparatoires avaient permis de montrer que le travail n’était pas insurmontable avant la fin mars... »

 

Les doléances des groupes professionnels qui souhaitent échapper à tout ou partie des contraintes semblent avoir été largement entendues. Ainsi, les consultations du public en cours ou à venir sont édifiantes : que d’aménagements ! On ne demande qu’un plan d’actions (publiable?) aux clubs de sports (football, rugby...) d’importance nationale et ce sans que cette notion ne soit définie ). Des allègements de restriction sont octroyés aux laveurs de voitures et de bateaux (mais le taux de recyclage à assurer n’est pas spécifié), aux professionnels du bâtiment… La liste des exceptions est longue et ne repose que peu souvent sur des justifications suffisantes.

 

Un projet d’arrêté ministériel inadmissible

En parallèle de ces consultations départementales, notre association a été informée qu’un possible projet d’arrêté ministériel, réalisé sans aucune étude environnementale - non encore soumis aux instances de concertation obligatoires - et ne se basant sur aucune donnée sérieuse pourrait permettre, s’il était signé tel quel, à diverses installations classées dont en particulier de nombreuses industries agro-alimentaires d’échapper à toute restriction (horaire et volumétrique).


 

Pauline Pennober rappelle que « aujourd’hui les installations classées doivent - hors situation particulière – faire au minimum 25 % d’économie d’eau en période de crise (le plus haut niveau de contrainte). » et de poursuivre

en précisant que

 

« si les restrictions peuvent être adaptées suivant les cas, déroger de manière générale nous semble inadmissible. »

 

Comme s’il était impossible d’économiser 5 à 10 % pendant une durée limitée ! Ça serait oublier que certains l’ont déjà fait en 2022. Par exemple, le syndicat de production d’eau potable des Portes de Bretagne, qui est situé dans un secteur marqué par l’agro-industrie, avait mené une importante campagne de sensibilisation auprès de ses professionnels qui avait permis de réduire leur consommation de 12 % pendant plusieurs mois et ainsi gagner plusieurs précieux jours de stock dans les barrages.


 

Les services de l’État se sont précipités sur ce projet comme s’il était adopté et le promeuvent en règle. Comme chacun sait,les retours en arrière sont toujours difficiles ! Après avoir expliqué à nos représentants que selon les situations les modulations étaient possibles au regard des normes maximales de consommation pour les installations classées au niveau européen.


 

Pour le bien des rivières : une représentation à améliorer

Les Comités de gestion de la ressource en eau sont composés, en plus des représentants de l’État, de représentants des collectivités, partagés entre service de l’eau potable et développement économique immédiat et des usagers professionnels. Dont ceux-là même qui ont un intérêt économique dans l’eau potable.


 

Afin de réellement protéger l’eau, invitons autour de la table plus de représentants des consommateurs et des rivières et prenons en compte les impacts de nos prélèvements sur les milieux et la biodiversité.


 

Les économies d’eau significatives ne peuvent pas reposer sur les seuls particuliers. La sobriété n’est crédible que lorsque chacun s’efforce de réduire avec les autres. C’est en agissant tous ensemble que nous subirons moins les périodes de sécheresse.


 

Nicolas Forray conclu en disant que pour Eau et Rivières de Bretagne,

« c'est par la mise en œuvre d'un panel de solutions s'appuyant tout à la fois sur les services écosystémiques de nos paysages, la sobriété des usages et la protection de la qualité de l’eau que les conflits autour de l’eau pourront être évités. C'est aussi par ces mesures que nous serons en capacité de ne pas sacrifier les milieux aquatiques pour nos seuls besoins, au risque d’ailleurs de découvrir qu’ils nous rendaient gratuitement des services bien réels, mais gratuits et non directement visibles. »  

 

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