Les eaux douces ont perdu trois quarts de leurs poissons
Un collectif de 16 organisations a publié, en février 2021, un rapport sur la situation des poissons d'eau douce à travers le monde. Un tiers des espèces sont aujourd'hui menacées d'extinction et certaines ont chuté de 76% depuis les années 1970.
Les habitats d'eau douce représentent à peine 1% des écosystèmes aquatiques de la planète. Ils abritent pourtant une biodiversité particulièrement riche. 51% des espèces de poissons répertoriées dans le monde - soit plus de 18.000 - évoluent dans les rivières, fleuves, lacs et autres étendues d'eau douce.
Cette richesse demeure toutefois méconnue et négligée. Trop négligée. C'est le cri d'alarme lancé par un collectif de 16 organisations de conservation dont le WWF qui se sont alliées pour dresser un nouveau rapport sur la situation des poissons d'eau douce. Et leurs conclusions sont préoccupantes.
Un déclin deux fois plus rapide
Selon le rapport The World's Forgotten Fishes, un tiers des espèces sont aujourd'hui menacées d'extinction dans le monde. Sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 583 sont considérées en danger critique, 870 en danger, 966 vulnérables et 511 quasi-menacées.
A l'échelle globale, la biodiversité des eaux douces montrerait un déclin deux fois plus rapide que celui observé dans les océans et les forêts. Pour certaines espèces, le déclin serait plus net encore. Les estimations avancent ainsi une baisse de 76% des populations de poissons migrateurs tels que le saumon ou l'esturgeon depuis les années 1970.
"L'indicateur le plus clair des dommages que nous causons est le rapide déclin des populations de poissons d'eau douce. C'est la version aquatique du canari dans la mine de charbon et nous devons tenir compte de l'avertissement", a indiqué le WWF.
Des pressions multiples
Le rapport ne dresse pas seulement un bilan de la situation des espèces. Il explore aussi les pressions qui pèsent sur elles : fragmentation des milieux, surexploitation des cours d'eau, pollution, surpêche, pêche destructrice, introduction d'espèces invasives, changement climatique, trafic de faune sauvage,... Les problèmes multiples se combinent pour former un cocktail destructeur.
En guise d'exemple, le WWF cite notamment le cas des esturgeons devenus la "famille de poissons d'eau douce la plus menacée au monde" en raison de la surpêche et du braconnage motivés par le succès du caviar sauvage illégal. Les anguilles européennes, en danger critique, décrochent elles le titre de "poisson le plus braconné".
Plusieurs études ont déjà mis en évidence de tristes constats sur les habitats d'eau douce de la planète. En 2019, des travaux ont montré que deux tiers des plus longs cours d'eau sont désormais entravés par l'Homme. En 2018, un rapport a révélé que moins de 40% des eaux douces de l'Union européenne sont dans un "bon" ou "très bon" état écologique.
Un déclin qui menace la santé des populations
Le déclin de la biodiversité d'eau douce "n'est pas seulement une statistique alarmante pour l'environnement. C'est aussi (un problème) très inquiétant pour la santé des populations et la sécurité de l'emploi", a souligné James Dalton, directeur du Global Water Programme de l'UICN.
D'après les estimations, ces écosystèmes constituent en effet une source de protéines pour quelque 200 millions de personnes en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Ils fournissent aussi des emplois et des moyens de subsistance à quelque 60 millions de personnes.
"Les poissons d'eau douce comptent pour la santé des populations et des écosystèmes dont dépendent toute la vie sur Terre. Il est temps que nous nous rappelions de cela", a insisté Stuart Orr, déplorant que ces espèces soient trop souvent ignorées dans les décisions en matière de développement d'activités ou d'installations.
Une feuille de route pour inverser la tendance
Si les problèmes sont connus, les solutions le sont aussi. Le rapport rappelle ainsi l'Emergency Recovery Plan, une feuille de route lancée en février 2020 par le WWF et d'autres organisations pour inverser le déclin rapide des espèces et des habitats d'eau douce.
Le plan propose une série de mesures divisées en six piliers et incitant à laisser couler les cours d'eau plus naturellement, réduire la pollution, protéger les zones humides critiques, freiner la surpêche, contrôler les espèces invasives et maintenir et restaurer les connexions entre les cours d'eau.
Pour mettre en oeuvre des solutions et inverser la tendance, le nouveau rapport appelle les gouvernements à réagir lors de la prochaine conférence de la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui doit se tenir en 2021 en Chine.