Penzé | Le préjudice écologique reconnu !
La pollution de la rivière de la Penzé près de Morlaix (Finistère), restera sans doute dans les annales. Alors que régulièrement depuis 40 ans, les rivières de première catégorie de Bretagne, parmi les plus exigeantes en qualité d'eau, mais aussi réservoirs de biodiversité exceptionnels, sont victimes des négligences répétées des élevages industriels porcins, la réponse de la justice environnementale est enfin à la hauteur des enjeux. Car ce dossier de pollution par la SA Kerjean est chargé de symbole. Cette entreprise, créée par Alexis Gourvennec, leader syndical et véritable idole du lobby du cochon, est aujourd'hui l'une des plus grosses porcheries industrielles de Bretagne. Comme tant d'autres outils industriels de ce type, elle est à l'origine de l'anéantissement de 3 kilomètres de rivière suite au déversement de plus de 100 m3 de lisier à l'été 2021. Cette pollution avait suscité beaucoup d'émotion dans la population locale, au point même de voir se créer un "collectif Penzé polluée" regroupant des pêcheurs (AAPPMA Morlaix et Elorn), des adhérents d'Eau & Rivières de Bretagne, des usagers kayakistes et stand-up paddle et beaucoup de riverains, pour une manifestation qui avait réuni plus de 300 personnes.
Les premières condamnations
Cette affaire est aussi l'une des premières traitées par le pôle judiciaire brestois, spécialisé en environnement. À l'occasion du jugement de première instance du 29 juin 2023, celui-ci avait reconnu la culpabilité de la SA Kerjean et l'avait condamnée à 200 000 euros d’amende, dont 100 000 avec sursis, ainsi qu’à l’interdiction de percevoir toute aide publique pendant un an. Son gérant étant, quant à lui, condamné à 20 000 € dont 10 000 avec sursis. Le préjudice moral des plaignants avait été reconnu mais l’évaluation du préjudice écologique renvoyée à plus tard. Pour ce faire, le tribunal avait ordonné une expertise sur ce sujet.
Ce premier jugement, frappé d'appel, s'est vu confirmé le 17 octobre 2024 : la Cour d'appel de Rennes ayant rendu une décision dans la continuité de celle de première instance, à savoir, une juste sanction de ce type de délit. Elle avait ainsi retenu une peine d'amende historique en matière de pollution d'un cours d'eau breton en condamnant la société au paiement d'une amende de 150 000 euros. Même si le montant de la peine fixé en première instance a été réduit, elle demeure, pour Eau & Rivières, ajustée à la gravité de l’acte commis.
Préjudice écologique
Comme il s'y était engagé en première instance en 2023, le Tribunal judiciaire de Brest était donc revenu sur l'examen du préjudice écologique lors d'une audience le 8 octobre 2024, sur la base du rapport de l'expert qu'il avait mandaté. Le jugement qui a été rendu ce mardi 14 janvier 2025 par le Tribunal Judiciaire de Brest est, encore une fois, historique et ce pour plusieurs raisons. D'abord, il vient déterminer la réparation d'un préjudice écologique de grande ampleur, causé par le déversement de plus d’une centaine de mètres cubes de lisier dans le cours d'eau la Penzé. Ensuite, il vient rappeler la responsabilité des exploitants de porcheries industrielles, dont l'intérêt pour la protection des milieux apparaît parfois bien minorée face aux préoccupations concernant la rentabilité économique. Enfin, il organise le financement d’une réparation du milieu, ce qui est une première pour une rivière bretonne.
Eau & Rivières de Bretagne est très fière de ce jugement car il se rapproche largement de ce que nous avons défendu devant ce nouveau pôle judiciaire brestois, spécialisé en environnement, avec nos partenaires du monde de la pêche. La fiducie permet ici de remettre dans les mains d'une tierce personne (le fiduciaire) les dommages et intérêts alloués pour la réparation de l'environnement, et de contrôler in fine l'octroi de ces sommes à des projets proposés par les parties civiles de réparation effective du milieu. C'est ce que nous souhaitions depuis le départ, à savoir, que les dommages et intérêts alloués fassent l'objet d'un réel suivi, afin que cette somme soit consacrée à la réparation des milieux. Pour Nicolas Forray, le secrétaire général d’Eau & Rivières, « cette décision, que l’on doit à la fois à l’expertise des magistrats et celle des juristes associatifs, fera, nous l’espérons, jurisprudence, car elle trace une ligne à suivre qui devrait, cette fois, faire réfléchir à deux fois les assureurs et industriels de l’élevage ».
Rappelons toutefois que ce jugement est susceptible d'être frappé d'appel, et n'est donc pour l'instant pas définitif.