Sécheresse 2022 : Changement climatique des effets déjà mesurables
Alors qu’au 15 août la pluie a refait son apparition sur le pays, Eau et rivières continue d’observer et d’analyser cet épisode de sécheresse prononcé qui malheureusement préfigure l’avenir. Après un premier article « Sécheresse 2022 : faute de pluies, une situation toujours inquiétante en Bretagne ! » publié fin juillet, un deuxième « Étiage 2022 : se situer par rapport au passé ? » début août, nous vous proposons de rentrer encore un peu plus au cœur de l’analyse et essayer de mettre en évidence les effets du réchauffement climatique sur les débits des rivières, de sorte que nous puissions collectivement prendre les bonnes décisions, et éviter les « fausses bonnes » idées simplistes.
Essayer de mettre en évidence les effets du réchauffement climatique sur les débits des rivières a déjà été fait au niveau national par les chercheurs de l’Institut de Recherche Scientifique et Technique sur l’Environnement et l’Agriculture (intégré aujourd’hui à l’INRAE) dans un travail conduit de 2010 à 2012 Les réponses sont très nettes dans la moitié sud de la France, avec à la fois une diminution des débits moyens annuels et une diminution des volumes écoulés pendant les périodes d’étiage. Les tendances pour la Bretagne restaient difficiles à cerner compte tenu de la faible évolution, à l’époque, des paramètres météorologiques pour notre région.
La principale certitude est l’augmentation des températures depuis de nombreuses années. En ce qui concerne les pluies, il n’y a pas de tendance statistiquement significative à une hausse ou à une baisse des précipitations totales, ni à une modification nette de leur saisonnalité. Pour l’avenir, les modélisations du réchauffement climatique annoncent des pluies plus intenses l’hiver, et une pluviométrie annuelle globalement peu différente en Bretagne. Météo-France note déjà une régression du nombre de jours de crachin sans que la pluviométrie annuelle évolue à ce jour.
Il est important de bien distinguer les canicules, périodes anormalement chaudes, dont les effets sur les débits existent (cf la note : étiage 2022, perspectives) mais sont relativement limités et la sécheresse, période anormalement longue sans pluie significative, et ce en période de végétation.
Il nous a paru intéressant de rouvrir ce dossier à l’occasion de l’étiage 2022, avec 10 ans de recul supplémentaire. Les résultats obtenus par Eau et rivières de Bretagne vont parfois à l’encontre des impressions exprimées. Mais d’autres résultats sont inattendus et ouvrent de nouvelles pistes d’action.
Définir un échantillon d’étude
La première étape est d’établir l’échantillon de référence. La deuxième étape, avoir des débits de qualité sur la durée passe par le respect d’autres exigences. Le respect de l’ensemble de ces critères restreint notre échantillon à 11 sites, assez bien répartis sur tout le territoire régional (cf : méthode ici).
Evolution des débits moyens annuels pour chaque année des 11 sites de référence (ou module)
L’année hydrologique ne coïncide pas avec l’année civile ! Elle commence avec le début de la remontée des débits au sortir de l’été et se termine l’année suivante, entre 11 et 13 mois plus tard en général ! Les étiages se terminent parfois fin août, ou durent jusqu’à fin octobre. Les conventions habituelles de l’hydrologie pour la moitié nord de la France ont été utilisées pour les travaux sur les débits moyens et les crues, à savoir un début d’année au 1er septembre et une fin au 31 août.
La moitié de l’échantillon conserve des débits moyens annuels équivalents sur la période. Ce premier résultat va à l’encontre de l’opinion générale pour qui hausse des températures + baisse des pluies estivales devraient conduire systématiquement à observer une baisse des débits lié au changement climatique.
Rappelons-nous toutefois que le volume écoulé en deux mois d’étiage correspond, selon nos rivières, à ce qui coule en une semaine de crue, voire moins !…
Evolution des débits de la plus forte crue de chaque année pour les 11 sites
Pour ce qui concerne l’évolution des débits maximum observés pendant l’hiver lors des crues, nos résultats montrent une tendance presque générale à l’augmentation, et ce de manière régulière. Y compris sur des rivières dont le débit moyen ne varie pas significativement. Ceci semble écarter un effet du réchauffement climatique. La première hypothèse pourrait conduire à penser qu’il s’agit d’une augmentation de la pluviométrie à certaines périodes de l’année (en hiver !). Les données facilement accessibles de Météo-France ne permettent pas de le penser. Des travaux plus complexes de traitement des données de pluie sur les périodes précédant ces « petite » crues maximales doivent pouvoir clarifier cet aspect. Nous y répondrons dans quelques mois.
Une deuxième hypothèse porte sur une augmentation du ruissellement.
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La croissance des zones imperméabilisées à l’amont des 11 stations utilisées, sans grande aire urbaine, ne peut expliquer cette augmentation ;
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Les surfaces forestières n’ont guère varié et jouerait plutôt un rôle ralentisseur.
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L’évolution des pratiques agricoles, avec la régression des prairies, la régression des talus et du bocage peut jouer un rôle d’augmentation du ruissellement et de réduction du temps de concentration pour des crues ordinaires. On estime couramment que ces modifications sont peu perceptibles pour les fortes pluies, à l’origine des crues de fréquence 20 ans et plus, qui pèsent de fait peu dans l’échantillon. Ce facteur parait donc plausible si aucune dérive des pluies n’est observée (ce point sera traité lors d’un nouvel article).
Et les étiages…. Evolution de la durée des étiages de chaque année pour les 11 sites ?
La caractérisation des étiages est complexe : durée, intensité, date de début et de fin. Compte tenu du caractère globalement peu perméable du Massif Armoricain, nous nous sommes intéressés à deux critères : la durée et la date de début.
Il n’y a pas de tendance particulière sur les dix dernières années, la durée des étiages varie globalement peu, sauf une tendance à l’allongement dans l’est régional, d’ores et déjà exposé aux étiages les plus sévères. On ne note pas d’inflexion particulière sur les 10 à 15 dernières années.
La date de début des étiages présente des évolutions plus diversifiées
La tendance dominante est une avancée significative des dates. Ceci est sans doute à mettre en lien avec l’évolution des températures qui fait croître la demande d’eau par les plantes qui « mobilisent » les pluies de fin de printemps. Il n’y a pas de rupture à l’échelle des 50 ans étudiés, mais cette progression est parfois considérable. Sont ainsi remarquables le Léguer et le Couesnon. La durée des étiages étant globalement stable, la date de fin avance elle aussi.
En résumé
L’augmentation générale des températures, en augmentant l’évapotranspiration des plantes plus tôt dans l’année se traduit par un avancement assez général des dates de début des étiages. Ceci est préoccupant en zone touristique car le début de saison intervient maintenant avec une ressource en baisse.
Par contre, la durée des étiages varie peu.
Les modifications des pratiques agricoles sont probablement à l’origine de l’augmentation des débits de la plus forte crue de chaque année, se traduisant le plus souvent par une augmentation globale de l’écoulement. Or l’accélération du cycle de l’eau réduit la part de l’infiltration vers les eaux souterraines qui sont le contributeur très majoritaire voire unique des débits d’étiage.
La prise en compte des effets observés est indispensable pour les projets situés à l’est d’une ligne Saint Brieuc-Vannes, en particulier pour les études de gestion de la ressource.
Les phénomènes observés en Bretagne restent très modestes au regard de ce qui est observé dans le bassin aquitain.