La sécheresse perdure malgré les pluies, menaçant l'eau potable
Depuis début septembre, les pluies tant espérées sont enfin arrivées. Pourtant, les rivières bretonnes affichent toujours de faibles débits, les barrages continuent de se vider et les mesures de restriction sont maintenues. Une canalisation d’eau brute du Blavet vers la retenue de Tréauray, construite en 1976 et inactive depuis plus de 20 ans a même été récemment remise en service.
En Bretagne, le cumul de pluie depuis le 31 août a été appréciable avec par exemple 54 mm à Quimper. Il a vraiment plu. Mais quel impact cela a-t-il sur nos rivières ? Malheureusement la réponse des rivières reste très modeste. En effet l’Odet n’est sorti du seuil d’alerte que pendant deux petites journées avant de baisser à nouveau.
Exemple sur l'Odet
Pour mieux comprendre cette situation, développons notre exemple finistérien. Petit retour en arrière sur 2022 : l’étiage commence de manière précoce en raison d’un hiver assez sec et d’un mois de mai qui l’est encore plus (- 90%). S’il est suivi d’un mois de juin arrosé (+51%) en cette saison l’eau est déjà essentiellement valorisée par les plantes, l’étiage poursuit donc sa lancé. Puis vient le mois de juillet qui connaît un déficit record de pluie (- 93%), déficit qui s’est en outre conjugué à des températures extrêmes. Les sols s’assèchent alors de manière intense et le niveau de la rivière descend très rapidement pour atteindre le seuil d’alerte dès la mi-juillet.
Source : Météo France
Il est suivi d’un mois d’août qui est lui aussi, malgré quelques pluies d’orages, déficitaire (- 30%) auquel s’ajoute des températures toujours très élevées. D’ailleurs la sécheresse des sols à la fin août montre une situation très tendue (voie carte ci-dessus).
Sources : banque Hydro, DREAL Bretagne, MétéoFrance, mise en forme et commentaire par Eau et Rivières de Bretagne
Le contexte précisé, nous pouvons nous pencher sur l’état de nos rivières en cet fin d’été. Nous avions déjà présenté, mi-juillet, un graphique semblable détaillant le niveau de l’Odet. Lors de cette première analyse les pluies de juin, pourtant moins intenses, avaient eu un effet beaucoup plus important sur le niveau de la rivière que celles de septembre. La raison de cette différence de réaction est lié au fait qu’au cours de l’été, les sols se sont très fortement asséchés et qu’en conséquence ils retiennent beaucoup plus les pluies. S’y ajoute le fait que les températures restent supérieures aux normales de saison, augmentant encore l’évapotranspiration (ETP) des plantes ; au final le bilan reste négatif ou nul. A la mi-septembre, la situation reste donc fragile et si l’on se base sur les prévisions météorologiques à 14 jours, les très faibles débits vont revenir ! Très vite !
Mais alors quand reviendrons nous à une situation « normale » ?
La pluie est un phénomène météorologique très difficile à anticiper mais voici un tableau comparatif avec les autres sécheresses d’importance qu’à connu la Bretagne.
Source : banque hydro, DREAL Bretagne, traitement et mise en forme : Eau et rivières de Bretagne
Sur cet exemple, la rivière de l’Arguenon a un seuil d’alerte fixé à 25 l/s. Il faut donc un cumul de pluie significatif pour observer un redémarrage pérenne des débits. A la lecture de ce graphique on apprend que les petites remontées de débits des rivières ne sont pas surprenantes. Il a plu aussi au cours des étés 1976, 1990 et 2003 (mais qui s’en souvient?) et les rivières ont réagi, avant de retomber plus ou moins -très- bas. Ceci confirme qu’il ne faut pas espérer voir les arrêtés de restriction d’eau suspendus dans les 15 prochains jours.
Des barrages à sec menaçant l’alimentation en eau potable des bretons ?
Conséquence importante de cette sécheresse qui perdure, les retenues pour assurer la production d’eau potable se vident rapidement. Certes, les dérogations au débit réservé qui ont été accordés par les préfets, d’ailleurs souvent la moindre condition (un suivi de quelques paramètres chimiques, aucun de la faune aquatique) ont permit de ralentir leur vidange, mais malgré tout, aujourd’hui la situation se tend très rapidement.
Les gestionnaires attendent donc avec impatience le mois d’octobre qui marque souvent le terme des périodes d’étiages mais un regard sur le passé nous apprend que les sécheresses tardives ne sont pas rares (100 à 160 jours) et ne se sont réellement terminé qu’à la fin du mois d’octobre. Plus récemment lors de l’hiver 2016/2017 le remplissage d’une majorité des nappes et des barrages n’avait vraiment débuté qu’a la fin décembre. Dans ces circonstances il existe un risque réel qu’une partie des barrages qui nous alimentent en eau potable puisse être inutilisable dans quelques semaines. Face à cette situation extrêmement tendue les économies de consommation sont elles de rigueur ?
Malgré les restrictions, une consommation toujours trop importante d’eau
Il est essentiel, pour estimer conséquences de cette sécheresse, de connaître les besoins des consommateurs (particuliers, industriels, paysans). Or, il est constaté depuis 2015 une augmentation de la consommation d’eau, sans que cette information n’ait suscité d’études spécifiques pour en connaître les raisons, ni de la part des collectivités, sauf rares exceptions, ni des autorités administratives.
Certains acteurs de production d’eau potable d’ailleurs toujours pas déterminé avec précision les plus gros consommateurs de leur territoire et et quelles économies ils pourraient mettre en œuvre en crise. Rappelons que dans de nombreux secteurs les plus gros consommateurs payent moins cher le m3 que les petits consommateurs !
Enfin, si en Bretagne les réseaux de distributions d’eau potable ont souvent des meilleurs rendements que dans le reste de la France et que donc moins d’eau est perdue de la production au point de consommation, de trop nombreux secteurs ont encore des rendements faibles voire catastrophique accentuant d’autant les tensions en cette période de manque.
Dans ce cadre il semble évident que lorsque les préfets ont accordé des dérogations ils auraient dû les accompagner d’obligations fermes de travaux de diagnostic et de réparation des réseaux de distribution. Qui plus est, conformes au droit. Ils ne l’ont même pas fait ! Avec la canicule, alors que la ressource se raréfie du fait d’une sécheresse bien engagée, la demande augmente et les difficultés sont là !
Des mesures réglementaires de restriction des usages peu efficaces
Si des solutions très variées peuvent être mises en place pour limiter la tension sur la ressource, dans les faits, seule la solidarité entre territoire par le transport d’eau est réellement mise en œuvre par tous les producteurs d’eau. Cette solution qui permet de pallier à des pénuries ponctuelles n’est pas sans conséquence (coût énergétique par exemple) et est déjà réalisé à grande échelle, notamment dans l’Est de la Bretagne. Mais aujourd’hui elle ne suffit plus à pallier au manque d’eau.
Les mesures de restriction d’usage n’ont pas eu non plus l’effet escompté. Pourquoi cette faiblesse de la réponse, alors que par le passé on observait une baisse rapide de 10 à 15% de la consommation d’eau potable ? Cela n’a pas été le cas en 2022. Quelques collectivités se sont réellement impliquées auprès de leurs habitants et de leurs touristes, avec de réels résultats. Il semble que l’implication des élus soit dans un grand nombre de cas restée distante, tardive et donc peu mobilisatrice.
Il est aussi expressément prévu dans les arrêtés sécheresses de crise que les industriels baissent leur consommation de 25 % mais les baisses observées sont restées d’ampleur limitée et les collectivités ne sont pas capable de confirmer si cette baisse de consommation est liée à des pratiques plus vertueuses de ces entreprises ou simplement une baisse d’activité estivale. Ce qui est sûr, c’est que leurs consommations réaugmentent Rappelons qu’à chaque nouveau projet fortement consommateur d’eau tel que celui de Bridor à Liffré, les élus se veulent rassurants, nous disent que la consommation sera « maîtrisée » et que des efforts seront mis en œuvre. Les belles promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Où en serions nous à Vitré si l’usine fonctionnait ? Et pour que cela passe, sur qui économise-t-on ? Sur les milieux aquatiques ! Jusqu’à l’irréversible (mortalité piscicoles...).
Lire notre article Sécheresse et biodiversité aquatique : Que se passe-t-il sous l'eau?
Autre aspect, la concentration des élevages : pour des raisons économiques, les exploitants agricoles utilisent d’abord les anciennes sources captées ou des forages privés. Mais quand ceux-ci tarissent ou produisent moins, ils recourent au réseau public, renforçant la pointe estivale. Surtout que les animaux ont eu chaud en 2022, et ont plus bu.
Pour les citoyens il est encore plus difficile de répondre : agacement devant des comportements d’autres usagers, baisse de civisme ,appréciation distanciée de la situation au regard d’une pénurie perçue comme lointaine en Bretagne ? Les incendies sont immédiatement là alors que la pénurie d’eau ne semble concerner que des zones très rurales. Autant d’éléments que devrons analyser les autorités pour construire une stratégie plus efficace dans l’avenir.
Il nous semble essentiel que cette crise de 2022 soit l’occasion de revoir notre gestion de l’eau, celle des rivières et celle de l’eau potable. Derrière se posent des questions de fond concernant la qualité de celle-ci, le rôle des sols dans la régulation des flux, tant en crue qu’en étiage. Nous avons formulé des questions, s’engager dans de nouveaux investissements lourds sans y avoir apporté réponse serait irresponsable.
Lors des consultations sur ces arrêtés de gestion de la sécheresse nous avions déjà souligné le fait que l’absence d’évaluation environnementale ne permettait pas une bonne gestion de la crise. Si cette situation nous donne malheureusement raison cela donne aussi une occasion aux préfets pour enfin approfondir le sujet.