Nitrates | L'ANSES invite à la maîtrise dans l'eau et les sols
Suite à une saisine d'Eau et rivières de Bretagne, l'ANSES vient de publier un rapport dont le titre est sans équivoque "Réduire l’exposition aux nitrites et aux nitrates dans l’alimentation"
Dès mars 2001, Eau & Rivières de Bretagne avait saisi l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments d’une demande d’avis au sujet des risques sanitaires liés à une alimentation (eau + aliments) trop chargée en nitrates. L’association avait également demandé à l’AFSSA de se prononcer sur la validité du plafond de 50 mg de nitrates par litre, fixé au niveau européen et national dans la réglementation sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Cet avis avait été sollicité parce que, de façon récurrente, des organisations liées à l’élevage industriel et à l’agro-alimentaire contestaient les bases scientifiques et le bien fondé de cette réglementation. Cette démarche a été réédité à plusieurs reprises le lobby ne lâchant pas l'affaire. La dernière en date remonte à 2015 et après avoir livré les premiers éléments de réponses en 2019.
Nitrites et nitrates dans le même bateau
Dans le cadre de la réévaluation des additifs utilisés en viande transformée (la conservation en charcuterie notamment), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a rendu des avis en juin 2017 et conclu, sur la base des éléments de preuve disponibles, que les niveaux de sécurité existants pour les nitrites et les nitrates ajoutés en tant qu’additif à la viande et à d'autres aliments constituaient une protection adéquate pour les consommateurs.
En parallèle des travaux d’expertise de l’EFSA, des travaux avaient été engagés à l’Anses afin de caractériser les expositions aux nitrates par voie alimentaire (notamment légumes et eau destinée à la consommation humaine) propres à la France dans le cadre de la saisine 2015-SA-0029. Ces travaux résultent d’une saisine de l’Anses par l’association Eau et rivières de Bretagne (le 15/01/2015), par la Coordination rurale (le 19/01/2015) puis par la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA, le 26/01/2015) sur les impacts sanitaires des nitrates présents dans l’alimentation et dans l’environnement.
En effet, les habitudes alimentaires, de même que la présence de nitrates dans les aliments (légumes notamment) et l’eau, en France, peuvent différer sensiblement des données européennes utilisées par l’EFSA. Cela est particulièrement vrai pour l’eau de consommation humaine distribuée dont les concentrations des paramètres caractérisant sa qualité physico-chimique varient en fonction des ressources exploitées et des traitements mis en oeuvre. Ces travaux avaient pour but d’apprécier, au plan national, la situation d’exposition de la population aux nitrates au regard des repères toxicologiques. Les résultats permettraient d’identifier les situations méritant attention, de façon à recommander si possible des mesures utiles, en particulier grâce à l’identification des aliments (y compris l’eau de boisson) les plus contributeurs à l’exposition aux nitrates en France. Ces travaux précédemment initiés sur les nitrates sont intégrés à la présente expertise relative aux expositions alimentaires aux nitrites et aux nitrates.
L’Agence signale également qu’elle travaille actuellement sur une saisine du ministère chargé de la santé sur la question plus spécifique des nitrates dans l’eau de boisson, pour les unités
de distribution qui présentent des dépassements de la limite de qualité, en s’appuyant sur une partie des travaux présentés.
Risque de cancer colorectal avéré
Or sans attendre le groupe de travail réuni par l'ANSES conclut à l’existence d’une association positive entre l’exposition aux nitrates via l’eau de boisson et le risque de cancer colorectal ;
Pour la première fois, une étude récente rapporte l’impact d’une exposition périnatale aux nitrates sur le risque de cancers pédiatriques. S’agissant de la seule étude disponible, le GT n’est pas en mesure de conclure sur ce point.
Dans la mesure où un seul article était disponible, le GT considère qu’il n’a pas été possible, en l’état actuel des connaissances, de conclure à l’existence d’une association entre exposition aux nitrates et aux nitrites et le risque d’autres cancers que le cancer colorectal mais note une association positive suspectée entre l’exposition aux nitrates présents dans l’eau de boisson et le risque de cancers des ovaires et des reins.
Eau de boisson 20 à 25 % de l'exposition
L'eau de boisson contribue entre 20 et 25 % à l’exposition alimentaire totale aux nitrates. L’impact d’un respect systématique de la limite de qualité pour les nitrates dans les eaux de consommation distribuées a été testé en considérant qu’aucun individu ne consommait une eau contenant plus de 50 mg L-1 de nitrates (toutes les concentrations en nitrates dans l'eau potable dépassant cette limite ont été fixées à 50 mg L-1). Cette simulation a un impact minime sur l’exposition alimentaire totale de la population française. Ceci s’explique par le faible nombre d’unité de distribution pour lesquelles la concentration moyenne en nitrates est supérieure à 50 mg L-1.
Renforcer les actions visant à restaurer la qualité de l’eau
Le groupe de travail et le CES ERCA recommandent :
- de réévaluer la pertinence de la valeur dérogatoire maximale utilisée en gestion (100 mg L-1) pour les nitrates dans les eaux destinées à la consommation humaine ; afin de limiter les expositions aux nitrates via les eaux distribuées en réseau :
- de renforcer les actions visant à préserver la qualité des ressources en eau d’une contamination par les nitrates ; de poursuivre et renforcer les actions visant à restaurer la qualité de l’eau pour les ressources contaminées ;
- si les actions précédentes ne sont pas suffisantes, d’adapter les filières de production d’eau potable (mélange d’eau, mise en place de traitements adaptés, voire abandon de captages durablement contaminés) afin de garantir en permanence le respect de la limite de qualité dans les eaux distribuées ;
- de mener des études complémentaires, afin d’étudier l’association entre les nitrates dans l’eau de boisson et le risque de cancer (autre que colorectal) révélée par les études épidémiologiques. Il s’agit des cancers pédiatriques suite à une exposition périnatale et des cancers des reins, des ovaires, du sein et de la vessie chez les femmes ménopausées ;
- d’évaluer, à la lumière des nouvelles données épidémiologiques et toxicologiques, la pertinence de la limite de qualité de 50 mg L-1 de nitrates dans les eaux destinées à la consommation humaine.
Eau et rivières et les syndicats majoritaires agricoles
Nous l'évoquions dès les années 90, et cela nous avait déjà conduit à saisir l'AFSSA en 2001, c’est un très mauvais service que les responsables de la FNSEA et de la coordination rurale rendent aux agriculteurs, en leur laissant croire à l’inutilité de la nécessité absolue de réduire les fuites de nitrates vers les eaux. Cela ne les a pourtant pas empêché toutes ces années de chercher à obtenir la suppression de ces normes c'était bien le sens pour eux de la saisine de l'Anses. Celle-ci vient au contraire de donner entièrement raison à Eau et rivières de Bretagne qui se bat depuis plus de 50 ans pour que ce problème de santé public ne soit plus caché sous le tapis du "modèle agricole breton".
Lire le rapport complet de l'ANSES publié le 12 juillet 2022